10
Il descendit dans la-cave peu après sept heures du matin, le sol était froid contre ses pieds nus. Après être resté un instant sans bouger, à tendre l’oreille, il ferma la porte à clé. Il s’accroupit pour inspecter la fine couche de farine qu’il avait répandue par terre la dernière fois qu’il était venu. Personne n’avait pénétré dans son monde. Aucune empreinte de pied dans la couche de farine. Puis il alla voir ses pièges à rats. Il avait de la chance. Il y avait un rat dans les quatre pièges, et notamment le plus gros qu’il ait jamais vu. Une fois, vers la fin de sa vie, Geronimo avait parlé du guerrier pawnee qu’il avait vaincu dans sa jeunesse. On l’appelait l’Ours à six griffes, parce qu’il avait six doigts à sa main gauche. Ça avait été son plus redoutable ennemi. Cette fois-là, malgré son jeune âge, Geronimo avait failli mourir. Il avait coupé le sixième doigt de son ennemi et l’avait mis à sécher au soleil. Ensuite il l’avait porté de nombreuses années dans une petite bourse de cuir à sa ceinture. Il décida d’essayer une de ses haches sur le gros rat. Il testerait l’effet de la bombe anti-agression sur les plus petits.
Mais il avait encore le temps. D’abord, il fallait qu’il passe par la grande transformation. Il s’assit en face des miroirs, régla la lumière afin qu’il n’y ait aucun reflet sur les miroirs, et examina son visage. Il s’était fait une petite entaille sur la joue gauche. La blessure était déjà cicatrisée. Le premier pas vers la transformation finale. Le coup de hache avait été parfait. Quand il avait frappé la colonne vertébrale du premier monstre, ç’avait été comme de fendre du bois. Il avait senti en lui la jubilation du monde des esprits. Il avait retourné le monstre sur le dos et avait découpé son scalp, sans hésiter. Maintenant le scalp était là ou il devait être, enterré, une des mèches de cheveux sortant de terre.
Bientôt, il y aurait là un nouveau scalp.
Il regarda son visage. Devait-il faire la nouvelle entaille à côté de l’autre ? Ou fallait-il laisser le couteau inaugurer l’autre joue ? En fin de compte, ça n’avait aucune importance. De toute façon, quand il aurait fini, tout son visage serait couvert de cicatrices.
Il commença à se préparer. Il sortit de son sac à dos les armes, les couleurs et les pinceaux. Puis il prit le livre rouge, dans lequel étaient consignées les Apparitions et les Missions. Il le posa doucement sur la table, entre les miroirs et lui.
C’était hier soir qu’il avait enterré le premier scalp. Il y avait un gardien à côté de l’hôpital. Mais il savait où trouver un trou dans la barrière. Le pavillon, avec ses grilles aux fenêtres et aux portes, était isolé dans cette zone qui ressemblait à un parc. Quand il était venu voir sa sœur, il avait calculé à côté de quelles fenêtres elle dormait la nuit. Une faible lumière qui venait d’un couloir, c’était tout ce qu’on distinguait dans ce bâtiment lourd et menaçant. Il avait enterré le scalp et chuchoté à sa sœur qu’il était en route. Il anéantirait les monstres, les uns après les autres. Après, elle pourrait enfin revenir au monde.
Il se mit torse nu. Bien que ce fût l’été, il frissonna dans le froid qui persistait dans la cave. Il ouvrit le livre rouge et passa ce qui était écrit sur l’homme qui s’était appelé Wetterstedt, mais qui n’existait plus maintenant. C’était à la septième page que le deuxième scalp était décrit. Il lut ce que sa sœur avait écrit et décida d’utiliser la petite hache cette fois-ci.
Il referma le livre et regarda son visage dans le miroir. Il avait la forme de celui de sa mère. En revanche, il avait hérité des yeux de son père. Ils étaient profondément enfoncés, comme deux gueules de canons. Ces yeux lui rappelaient parfois que c’était dommage de devoir sacrifier son père aussi. Mais c’était la seule chose qui le retenait, ce n’était qu’un moment d’hésitation qu’il surmontait rapidement. Ces yeux étaient son premier souvenir d’enfance. Ils l’avaient dévisagé, ils l’avaient menacé, ensuite il n’avait jamais pu voir son père autrement que comme une paire d’yeux géants avec des bras, des jambes et une voix tonitruante.
Il s’essuya le visage avec une serviette. Puis il plongea un des gros pinceaux dans la peinture noire et traça le premier trait sur son front, exactement là où le couteau avait découpé la peau du front de Wetterstedt.
Il avait passé de nombreuses heures derrière les barrières. C’était passionnant de voir tous ces policiers consacrer toute leur énergie à tenter de comprendre ce qui s’était passé, qui avait tué l’homme sous la barque. À plusieurs reprises, il avait ressenti comme le besoin de crier que c’était lui.
C’était une faiblesse qu’il ne contrôlait pas encore tout à fait. Ce qu’il faisait, la mission qu’il avait lue dans le livre d’Apparitions de sa sœur, il l’accomplissait uniquement pour elle, pas pour lui. Il fallait surmonter cette faiblesse.
Il dessina le deuxième trait sur son front. Et déjà, avant même que la transformation n’eût commencé, il sentait que de grands pans de son identité extérieure étaient en train de le quitter.
Il ne savait pas pourquoi on lui avait donné le nom de Stefan. Une fois où sa mère était à peu près à jeun, il le lui avait demandé. Pourquoi Stefan ? Pourquoi ce nom-là et pas un autre ? Elle avait répondu de manière très vague. Un joli nom, avait-elle dit. Un nom qui plaisait bien. Comme ça, il n’aurait pas un nom qu’il serait le seul à porter. Il se souvenait encore de son émotion. Il était sorti, et l’avait laissée allongée sur le canapé. Il avait pris son vélo et avait pédalé jusqu’au bord de la mer. Il était descendu sur la plage et s’était choisi un autre nom. Il avait choisi Hoover. Comme le chef du FBI. Il venait de lire un livre sur lui. On disait que du sang indien coulait dans ses veines. Il s’était demandé si dans sa famille aussi il n’y aurait pas eu des Indiens dans le passé. Son grand-père avait raconté qu’autrefois beaucoup de membres de sa famille avaient émigré en Amérique. Peut-être l’un d’entre eux s’était-il installé avec une Indienne. Même si le sang ne coulait pas directement dans ses veines, il pouvait y en avoir dans la famille.
Ce n’est qu’après, quand on avait enfermé sa sœur dans la clinique, qu’il avait décidé de fusionner Geronimo avec Hoover. Il se souvenait que son grand-père lui avait montré comment fondre de l’étain et le verser dans des moules en plâtre qui représentaient des soldats miniatures. Il avait récupéré les moules et la louche à étain à la mort de son grand-père. Ils étaient dans une boîte en carton à la cave. Il les avait ressortis, et il avait modifié les moules, de façon à ce que l’étain fondu devienne un personnage qui soit à la fois un policier et un Indien. Un soir tard, alors que tout le monde dormait, et que son père était en prison, et ne pouvait donc pas faire irruption dans leur appartement à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, il s’était enfermé dans la cuisine et avait accompli la grande cérémonie. En faisant fondre ensemble Hoover et Geronimo, il avait créé sa nouvelle identité. Il était un policier redouté qui avait le courage d’un Indien. Il était invulnérable. Personne ne pourrait jamais l’empêcher d’accomplir sa vengeance.
Il continua à tracer les traits en arc de cercle au-dessus de ses paupières. Cela donnait l’impression que ses yeux étaient encore plus profondément enfoncés dans leurs orbites. Ils étaient là, tapis au fond, comme deux bêtes sauvages. Deux animaux sauvages, deux regards. Il récapitula lentement tout ce qui l’attendait. C’était le soir de la Saint-Jean. La pluie et le vent allaient rendre sa tâche plus difficile. Mais cela ne l’empêcherait pas d’agir. Il fallait qu’il s’habille chaudement pour le voyage jusqu’à Bjäresjö. En revanche, il ne savait pas si la fête à laquelle il se rendait n’allait pas plutôt se passer à l’intérieur à cause du mauvais temps. Il allait devoir compter sur sa patience. Hoover avait toujours prêché la patience à ses recrues. Comme Geronimo. Il y a toujours un moment où la vigilance d’un homme se relâche. C’est à ce moment-là qu’il faut frapper. Si la fête avait lieu à l’intérieur, ce serait pareil. Tôt ou tard, l’homme qu’il était venu voir se montrerait au-dehors.
Il s’y était rendu la veille. Il avait laissé la mobylette dans un bosquet et s’était frayé un chemin jusqu’à une hauteur d’où il pouvait observer sans être dérangé. La maison d’Arne Carlman était isolée, exactement comme celle de Wetterstedt. Il n’avait pas de voisins immédiats. Une allée de peupliers menait à la vieille ferme blanchie à la chaux.
Les préparatifs de la fête avaient déjà commencé. Il avait vu un homme décharger un certain nombre de tables pliantes et de chaises empilables d’un camion. On était en train de dresser une tente dans un coin du jardin.
Arne Carlman était là, lui aussi. Il avait pu observer à la jumelle l’homme auquel il rendrait visite le lendemain : il allait et venait dans le jardin pour diriger les travaux. Il portait un survêtement et avait un béret basque enfoncé sur la tête. Il n’avait pas pu s’empêcher de penser à sa sœur avec cet homme, et il avait aussitôt eu la nausée. Il n’avait pas eu besoin d’en voir plus. Il savait comment passer à l’action.
Quand il en eut fini avec le front et les ombres autour des yeux, il traça deux vigoureux traits blancs de chaque côté de ses narines. Il sentait déjà le cœur de Geronimo qui battait dans sa poitrine. Il se pencha et mit en route le magnétophone qui était par terre. Les tambours étaient très puissants. Les esprits commençaient à parler en lui.
Ce n’est que tard dans l’après-midi qu’il fut enfin prêt. Il choisit les armes qu’il allait emporter. Il enferma les quatre rats dans une grosse boîte. Ils tentèrent d’escalader les parois, sans y parvenir. Avec la hache qu’il voulait essayer, il visa le plus gros de ces rats bien nourris. Il fut coupé en deux. Ça se passa tellement vite que le rat n’eut même pas le temps de crier. Mais les autres rongeurs commencèrent à se jeter contre les parois pour tenter de s’échapper. Il alla vers l’endroit où son blouson était suspendu, à un crochet dans le mur. Il mit sa main dans une des poches pour y prendre la bombe anti-agression. Mais elle n’y était pas. Il chercha dans les autres poches. Elle n’était nulle part. Il resta sans bouger un moment. Quelqu’un était-il entré ? C’était impossible. Pour avoir les idées claires, il alla se rasseoir devant ses miroirs. La bombe anti-agression avait dû tomber de sa poche. Il réfléchit lentement, avec méthode, aux jours écoulés depuis sa visite à Wetterstedt. Il comprit ce qui s’était passé. Il avait dû perdre la bombe derrière les barrières quand il était en train de regarder les policiers travailler. Au moment où il avait retiré sa veste pour mettre un pull. C’est comme ça que ça avait dû se passer. Ce n’était pas grave. N’importe qui pouvait perdre une bombe anti-agression. Même s’il y avait ses empreintes digitales sur la bombe, la police ne les avait pas dans son fichier. Même Hoover, le chef du FBI, n’aurait trouvé aucun indice lui permettant de remonter jusqu’au propriétaire de la bombe anti-agression. Il se leva et retourna voir les rats dans la boîte. Dès qu’ils l’aperçurent, ils commencèrent à se jeter contre les parois. Il les tua en trois coups de hache. Puis il plaça leurs cadavres ensanglantés dans un sac plastique qu’il ferma soigneusement avant de le remettre dans un autre sac. Il essuya la lame et passa ensuite le bout de ses doigts dessus.
Il fut prêt un peu après six heures du soir. Il avait mis les armes et le sac contenant les cadavres de rats dans son sac à dos. Comme il pleuvait et ventait, il mit des chaussettes et des baskets. Il avait effacé les empreintes de ses semelles. Il éteignit la lumière et sortit de la cave. Avant de sortir, il mit son casque.
*
La nuit de la Saint-Jean était un des grands moments de l’année pour le marchand d’art Arne Carlman. Cela faisait plus de quinze ans qu’il organisait une fête tous les ans dans sa ferme de Scanie, où il passait l’été. Dans le milieu des artistes et des propriétaires de galeries, c’était important d’être invité. Carlman était un homme très influent. Quand il misait sur un artiste, il pouvait lui assurer richesse et renommée. Inversement, il pouvait ruiner ceux qui ne suivaient pas ses conseils ou qui ne faisaient pas ce qu’il voulait. Plus de trente ans auparavant, il sillonnait les routes du pays au volant d’une vieille voiture pour écouler des œuvres d’art. Des années de vaches maigres. Mais il avait appris quel type de tableaux il pouvait vendre à quel type de clients. Il avait appris le métier et, par la même occasion, il s’était débarrassé de cette idée que l’art se situerait au-dessus du monde régenté par l’argent. Il avait mis suffisamment d’argent de côté pour ouvrir un atelier d’encadrement et une galerie dans Österlångsgatan, à Stockholm. Ensuite, il avait acheté des tableaux à de jeunes artistes en alternant flatterie, alcool et argent, et il avait bâti leur renommée. Il s’était frayé son chemin par le mensonge, les menaces et les pots-de-vin. Au bout de dix ans, il possédait une dizaine de galeries d’art dans toute la Suède. Il avait également commencé à vendre des tableaux par correspondance. Au milieu des années soixante-dix, ses affaires étaient prospères. Il avait acheté cette ferme en Scanie et s’était mis, quelques années plus tard, à y organiser ses fêtes. Le caractère excessif de ces soirées en avait fait la renommée. Chaque invité pouvait espérer repartir avec un cadeau qui n’avait pas coûté moins de cinq mille couronnes. Cette année, il avait fait fabriquer une série limitée de stylos créés par un designer italien.
Quand Arne Carlman se réveilla au côté de sa femme tôt ce matin de la Saint-Jean, il alla à la fenêtre et jeta un regard sur un paysage lourd de pluie et de vent. Un soupçon de contrariété passa rapidement sur son visage. Mais il avait appris à accepter l’inévitable. Il n’avait aucune prise sur le temps. Cinq années auparavant, il avait fait confectionner une collection particulière de vêtements de pluie qu’il mettait à la disposition de ses invités. Ceux qui le voulaient pourraient ainsi aller dans le jardin, tandis que les autres resteraient à l’intérieur de la vieille grange qu’il avait transformée en une vaste pièce.
Les invités commencèrent à arriver vers vingt heures, ce soir-là. La sempiternelle pluie venait de s’arrêter. Ce qui s’annonçait comme une soirée humide et désagréable était devenu une belle soirée d’été. Arne Carlman reçut ses invités en smoking, un de ses fils le suivait avec un parapluie ouvert. À chaque fête, il invitait cent personnes, dont une cinquantaine venaient pour la première fois. À dix heures du soir, il fit tinter son verre et prononça son traditionnel discours d’été. Il savait très bien qu’au moins la moitié des gens présents le haïssaient ou le méprisaient. Mais à soixante-six ans, il avait cessé de se préoccuper de ce que les gens pouvaient penser. Son solide empire ne pouvait que leur imposer silence. Deux de ses fils étaient prêts à reprendre son entreprise quand il n’en aurait plus la force. Mais pour le moment, il ne songeait pas à se retirer. Ce fut le sujet de son discours d’été, où il ne parla que de lui. Ils n’étaient pas près d’être débarrassés de sa personne. Ils pouvaient encore compter sur un certain nombre de fêtes de la Saint-Jean en espérant que le temps serait meilleur que cette année. Ses paroles furent accueillies par de mols applaudissements. Puis un orchestre commença à jouer dans la grange. La plupart des invités préférèrent se promener dehors. Arne Carlman ouvrit la danse avec sa femme.
— Alors, qu’as-tu pensé de mon petit discours ? lui demanda-t-il.
— Tu n’as jamais été aussi méchant que cette année.
— Laisse-les me haïr. Qu’est-ce que ça peut bien me faire ? Qu’est-ce que ça peut bien nous faire ? Il me reste encore plein de choses à accomplir.
Peu avant minuit, Arne Carlman emmena une jeune artiste de Göteborg sous une tonnelle un peu isolée, au fond de son grand jardin. Un de ses chasseurs de talents lui avait conseillé d’inviter cette artiste à sa fête de la Saint-Jean. En voyant un certain nombre de photos de ses peintures à l’huile, il s’était tout de suite rendu compte qu’elle apportait quelque chose de nouveau. C’était une nouvelle forme de peinture de paysages idylliques. Des banlieues froides, des déserts de pierre, des personnages solitaires, entourés de prés fleuris paradisiaques. Il avait d’ores et déjà décidé de lancer cette artiste en tant que chef de file d’un nouveau mouvement artistique qu’on pourrait appeler le néo-illusionnisme. Tandis qu’ils se dirigeaient vers la tonnelle, il se dit qu’elle était très jeune. Mais elle n’était ni belle ni étrange. Or Arne Carlman avait appris que l’aura de l’artiste est au moins aussi importante que sa peinture. Il se demanda ce qu’il allait bien pouvoir faire de cette jeune femme maigre et pâlotte qui marchait devant lui.
L’herbe était encore humide. C’était une belle soirée. Le bal suivait son cours. Mais bon nombre d’invités avaient commencé à se rassembler autour des postes de télévision qui se trouvaient dans la ferme. La retransmission du match Suède-Russie allait commencer dans une demi-heure environ. Carlman voulait avoir fini son entretien pour pouvoir regarder le match. Il avait un contrat en poche.
Celui-ci accordait à l’artiste une somme importante en espèces, et en contrepartie il obtenait l’exclusivité des droits sur ses œuvres pendant trois ans. À première vue, c’était un contrat très avantageux. Mais les petits caractères, qu’on ne pouvait pas lire à la lumière pâle de la nuit de la Saint-Jean, donnaient également à Carlman un bon pourcentage sur les ventes de ses œuvres à venir. Quand ils arrivèrent sous la tonnelle, il essuya deux chaises avec un mouchoir et la pria de s’asseoir. Il lui fallut moins d’une demi-heure pour la persuader d’accepter le contrat. Puis il lui tendit un des stylos créés par l’Italien et elle signa.
Elle quitta la tonnelle et retourna à la grange. Plus tard, elle affirmerait qu’il était à ce moment-là exactement minuit moins trois. Pour on ne sait quelle raison, elle avait jeté un coup d’œil sur sa montre en remontant une des allées en gravier qui menaient à la maison. Avec la même conviction, elle jurerait que, quand elle avait quitté Arne Carlman, il était absolument comme d’habitude. Il ne lui avait pas donné l’impression d’être inquiet. Ni d’attendre quelqu’un. Il avait seulement dit qu’il allait rester quelques instants pour savourer la fraîcheur de l’air après la pluie.
*
Hoover était resté allongé sur la colline pendant toute cette longue soirée. À cause de l’humidité du sol, il se sentait complètement frigorifié bien qu’il eût cessé de pleuvoir. Il se levait de temps en temps pour bouger ses membres engourdis. Vers vingt-trois heures, il avait vu dans ses jumelles que l’instant propice approchait. Il y avait de moins en moins de monde dans le jardin. Il avait sorti ses armes et les avait glissées dans sa ceinture. Il avait aussi enlevé ses chaussures et ses chaussettes et les avait rangées dans le sac à dos. Il s’était doucement laissé glisser, accroupi, jusqu’au bas de la colline, et avait couru le long d’un chemin de terre, à l’abri d’un champ de colza. Arrivé derrière le fond du jardin, il s’était accroupi sur le sol trempé. Il pouvait surveiller le jardin à travers la haie.
Environ une heure plus tard, son attente prit fin. Arne Carlman venait droit vers lui. Il était en compagnie d’une jeune femme. Ils s’assirent sous la tonnelle. Hoover eut du mal à comprendre de quoi ils parlaient. Au bout de trente minutes environ, la femme se leva, mais Arne Carlman resta. Le jardin était désert et on ne jouait plus de musique dans la grange. En revanche, on entendait très bien le son de plusieurs postes de télévision. Hoover se leva, sortit sa hache et se colla à la haie qui touchait la tonnelle. Il vérifia une dernière fois que le jardin était désert. Puis toute hésitation disparut, les révélations de sa sœur le sommaient d’accomplir sa mission. Il se précipita dans la tonnelle et planta sa hache droit dans le visage d’Ame Carlman. La violence du coup fendit le crâne jusqu’à la mâchoire supérieure. Carlman resta assis sur le banc avec les deux moitiés du visage qui pointaient dans deux directions différentes. Hoover tira son couteau et découpa les cheveux sur la moitié la plus proche de lui. Puis il disparut aussi rapidement qu’il était venu. Il retourna sur la colline, alla chercher son sac à dos et courut ensuite jusqu’au petit chemin couvert de gravier où il avait laissé sa mobylette, derrière un baraquement de cantonnier.
Deux heures plus tard, il enterrait le scalp à côté de l’autre, sous la fenêtre de sa sœur.
Le vent était tombé. Il n’y avait plus un seul nuage dans le ciel.
La journée de la Saint-Jean serait chaude et belle. L’été était arrivé. Plus vite qu’on ne l’aurait cru.